Chapitre 16

 

 

Le vampire aux cheveux noirs se releva dès que j’eus sauté sur mes pieds, puis il épousseta ses vêtements.

— Crois-moi, mon pote, je n’ai jamais pris aussi peu de plaisir à avoir une femme sur moi. À peine lui avais-je dit bonjour que ce démon en jupon m’a aveuglé en me lançant des cailloux dans les yeux. Ensuite, elle a joyeusement tenté de me fendre le crâne avant de me menacer de m’empaler avec une arme en argent si je bougeais le petit doigt ! Moi qui ne suis pas venu en Amérique depuis quelques années, j’ai l’impression que l’accueil n’est plus ce qu’il était !

Bones roula des yeux et lui tapa sur l’épaule.

— Je suis heureux de te voir sur pied, Charles, et la seule raison pour laquelle elle ne t’a pas tué, c’est qu’elle n’avait pas d’arme en argent sur elle. Sinon, elle t’aurait planté son pieu dans le coeur directement. Elle a un peu tendance à tuer les gens avant même de faire les présentations.

— Tu exagères ! protestai-je.

Je me sentais insultée par la réputation que Bones était en train de me faire. Il ne releva pas et passa à autre chose.

— Chaton, je te présente mon meilleur ami, Charles, mais tu peux l’appeler Spade[10] Charles, voici Cat, la femme dont je t’ai parlé. Tu as pu constater par toi-même que tout ce que je t’ai dit était... en dessous de la vérité.

À son ton, ce n’était pas vraiment un compliment, mais comme je n’étais pas très fière du traitement que j’avais infligé au vampire dégingandé qui me regardait, je ne répondis rien et me contentai de lui tendre la main.

— Salut.

— Salut, répéta Spade avant de rejeter la tête en arrière et d’éclater de rire. Je suis vraiment enchanté de faire ta connaissance maintenant que tu as cessé de m’écraser la tête contre le sol.

Ses yeux étaient de la même couleur que ceux d’un tigre, et il me regarda des pieds à la tête en me serrant la main. J’en fis autant. Il n’y avait pas de raison, après tout. Spade semblait mesurer environ cinq centimètres de plus que Bones, soit un peu plus d’un mètre quatre-vingt-dix. Il avait des traits fins et séduisants, le nez droit, et ses cheveux couleur corbeau se dressaient sur le haut de son crâne avant de retomber sur ses épaules.

— Ainsi on te surnomme Spade... Pourtant tu es blanc. N’est-ce pas un peu... politiquement incorrect ?

Il rit de nouveau, mais cette fois avec moins d’humour.

— Oh, mon surnom n’a rien à voir avec ma couleur de peau. C’était comme ça que le contremaître m’appelait en Australie. Spade signifie « pelle », et j’étais terrassier. Il n’appelait jamais les gens parleur nom, il les désignait juste par l’outil qu’ils utilisaient. Il pensait que les condamnés ne méritaient pas mieux.

C’était donc ce Charles-là. Je me rappelai que Bones avait parlé d’un Charles lorsqu’il m’avait raconté son expérience de prisonnier. « J’ai sympathisé avec trois personnes », m’avait-il dit, « Timothy, Charles et Ian ».

— Ça paraît plutôt avilissant. Pourquoi as-tu gardé ce surnom ?

Spade conserva son sourire, mais ses beaux traits se durcirent.

— Pour ne jamais oublier.

Il était temps de changer de sujet. Bones s’en chargea à ma place.

— Charles a des informations concernant un des larbins d’Hennessey. Ce dernier pourrait s’avérer utile.

— Super, dis-je. J’enfile ma tenue d’allumeuse et je me tartine de maquillage ?

— Tu devrais rester en dehors de tout ça, répondit Spade d’un ton sérieux.

J’eus soudain envie de recommencer à lui jeter des pierres.

— Dis-moi, le machisme c’est un truc de vampires ? Ou bien ça vient du XVIIIe siècle ? Tu préfères que les femmes restent à la cuisine, là où elles ne risquent rien, c’est ça ? Réveille-toi, Spade, on est au XXIe siècle ! Les femmes ont autre chose à faire que trembler de peur en attendant qu’un homme vienne les sauver !

— Si Crispin n’avait pas de tels sentiments pour toi, je te dirais volontiers de tenter ta chance, répondit immédiatement Spade. Mais je sais d’expérience combien il est douloureux de voir une personne que l’on aime être assassinée. Il n’y a rien de pire, et je ne veux pas qu’il vive ça.

Intérieurement, j’étais heureuse que Bones ait dit à son ami que je comptais pour lui. Je n’arrivais toujours pas à croire à son amour, mais c’était agréable de savoir que je n’étais pas juste une fille parmi d’autres à ses yeux.

— Écoute, je suis désolée que des vampires aient tué quelqu’un à qui tu tenais, sincèrement. Mais...

Il m’interrompit.

— Ce ne sont pas des vampires qui l’ont tuée. Elle a été égorgée par un groupe de déserteurs français.

J’ouvris la bouche puis je la refermai presque aussitôt, ne trouvant rien à dire. Sa dernière remarque m’avait appris plusieurs choses : d’une part, je m’étais trompée sur la nature des assassins, et, d’autre part, la femme qu’il avait aimée était humaine.

— Je ne suis pas vraiment comme tout le monde, finis-je par dire en lançant un regard inquisiteur à Bones pour tenter de deviner s’il avait également parlé de ce détail à son ami.

— Oui, il paraît, dit Spade. Et tu m’as pris par surprise toute à l’heure. Mais, bien que tu possèdes des capacités exceptionnelles... tu es facile à tuer. Le pouls qui bat sur ton cou est ton plus gros point faible, et si je l’avais vraiment voulu tout à l’heure, j’aurais pu te retourner et t’égorger.

Je souris.

— Je te trouve bien arrogant. Remarque, je le suis aussi, pour certaines choses. Je crois qu’on va très bien s’entendre. Ne bouge pas.

— Chaton..., dit Bones en me voyant partir, devinant sans doute où j’allais.

— Reste là, ça va être marrant !

— Où va-t-elle ? entendis-je Spade demander à Bones.

Ce dernier émit un grognement presque compatissant.

— Chercher de quoi te botter le train, et, entre nous, si j’avais le moindre espoir de la tenir en dehors de tout ça, je le ferais. Elle est plus têtue qu’un troupeau de mules.

— Ce ne sera pas suffisant pour lui permettre de rester en vie. Ça m’étonne vraiment que tu la laisses...

Spade s’interrompit en me voyant de retour. Ce que je tenais dans les mains devait certainement y être pour quelque chose.

— Alors, imaginons que tu es un méchant vampire qui veut me trancher la gorge, d’accord ? Tu vois, je suis armée. À ce propos, c’est de l’acier ; après tout, il ne s’agit que d’une démonstration, et je ne voudrais pas que tu finisses en vieille momie ratatinée. Mais tu t’en fiches, vu que tu es invincible et que pour toi je ne suis qu’une artère affublée d’une robe. Voilà le marché : si tu arrives à poser ta bouche sur ma gorge, tu gagnes, mais si je te plante mon pieu dans le coeur en premier, c’est moi qui gagnerai.

Spade tourna la tête vers Bones.

— Elle plaisante ?

Bones fit craquer ses doigts et s’écarta.

— Pas le moins du monde.

— Le repas est en train de refroidir, dis-je à Spade pour le provoquer. Viens me chercher, suceur de sang.

Spade rit, puis feignit une attaque vers la droite avant de bondir sur moi d’un mouvement bien trop rapide pour être perceptible à l’oeil nu. Il n’était qu’à un souffle de moi lorsqu’il baissa les yeux, surpris.

— Saperlipopette ! dit-il en se redressant dans son élan.

— Ce n’est pas le mot que j’aurais employé, mais c’est du pareil au même.

Deux lames en acier étaient plantées dans sa poitrine. Il les regarda avant de les arracher et de se tourner vers Bones, ébahi.

— Je n’arrive pas à y croire.

— Je te l’avais dit, mon pote, répondit Bones sèchement. Elle est très douée avec les couteaux. Heureusement qu’elle ne s’était jamais entraînée avant notre rencontre, sinon je ne serais peut-être plus là aujourd’hui.

— Je vois ça. (Spade regarda dans ma direction tout en continuant à secouer la tête.) Très bien, Cat. Tu as parfaitement démontré que tu étais beaucoup plus dangereuse que tu en avais l’air. Puisque visiblement je n’arriverai pas à te convaincre de te retirer de la partie et que Crispin a une grande confiance en toi, j’admets ma défaite et je te salue bien bas.

Il joignit le geste à la parole et s’inclina, balayant le sol de ses longs cheveux noirs en un mouvement plein de grâce. Son geste était si élégant et si raffiné qu’il me fit rire.

— Tu étais quoi avant qu’on te jette en prison, un duc ?

Spade se redressa et sourit.

— Baron Charles de Mortimer. À ton service.

 

Le lampadaire au-dessus de moi était cassé. Un peu plus loin dans le passage, un chat grognait face à une menace invisible. Dans le coin opposé, un vampire blond sautillait, faisant presque des bonds sur place. De toute évidence, il était excité.

Ce n’était guère mon cas. Il était 2 heures du matin, la plupart des gens étaient couchés, et j’aurais donné très cher pour pouvoir les imiter. Mais je devais d’abord m’occuper de ce vampire survolté.

— Hé, mec, dis-je en m’approchant de lui.

Je feignais d’être très agitée, regardant dans tous les sens et rentrant les épaules. Avec mes bleus tout récents et ma tenue minable, j’aurais pu poser pour une campagne de prévention contre la drogue. Je n’avais eu aucun mal à me mettre dans cet état. Bones m’avait donné quelques coups pour faire plus vrai, et il m’avait suffi de ne pas boire son sang pour que les marques ne s’effacent pas.

— T’as de l’héro, mec ? continuai-je en me frottant les bras comme si je fantasmais sur une seringue invisible.

Il partit d’un rire aigu et nerveux.

— Pas ici, poulette. Mais je sais où en trouver. Suis-moi.

— T’es pas un flic, au moins ? rétorquai-je en feignant la méfiance.

Il gloussa de nouveau.

— Aucun risque.

Essayait-il d’être drôle ? Dans ce cas, il allait adorer la repartie que je lui réservais pour plus tard.

— J’ai pas le temps d’attendre que t’appelles quelqu’un, je suis vraiment en manque...

— J’ai ce qu’il te faut dans ma voiture, m’interrompit-il. Par là.

Il se mit en route, sautillant presque. À l’autre bout du passage se trouvait une rue encore plus abandonnée.

— Par ici, dit-il d’une voix chantante alors que je le suivais plus lentement en regardant autour de moi pour vérifier s’il n’y avait pas d’autres morts-vivants dans les parages. On y est, poulette.

Le vampire ouvrit la portière de sa voiture en m’adressant un large sourire. Docilement, je me penchai pour regarder à l’intérieur.

Je m’étais préparée à ce qu’il me frappe, mais la douleur n’en fut pas atténuée pour autant. Je m’affalai sur le siège passager comme l’aurait fait une personne normale. Le vampire gloussa et balança mes jambes dans la voiture avant de claquer la portière. Il monta à son tour dans le véhicule puis il démarra.

J’étais avachie à côté de lui. Il ne me prêtait pas la moindre attention et continuait à hennir doucement en conduisant. Cette manie me tapait sur les nerfs. Je sentais que mes règles étaient pour bientôt et j’avais un examen dans la matinée. Il n’avait vraiment pas choisi la bonne victime.

Tout à coup, un véhicule nous percuta à l’arrière. Je profitai de l’impact pour sortir mon arme de ma botte sans qu’il s’en aperçoive. Il poussa un cri perçant lorsque je la lui enfonçai dans la poitrine. J’avais fait exprès de ne pas viser le coeur, mais la lame en était assez proche pour qu’il m’accorde toute son attention.

— Ferme-la, sale moulin à paroles ! dis-je d’un ton brusque. Gare-toi si tu ne veux pas que mon copain te rentre encore dedans. Parce que si ça arrive, je te laisse deviner où ma lame va atterrir.

L’expression horrifiée de son visage était presque drôle à voir. Puis ses yeux s’enflammèrent.

— Lâche-moi !

— Pas la peine de me faire le coup des yeux verts, ça ne marchera pas. Tu as trois secondes pour te garer, sinon tu peux faire tes prières.

Derrière nous, Bones fit rugir son moteur comme pour souligner mes paroles. Une autre collision et la lame en argent irait droit dans son coeur, il le savait.

Je ne détournai pas les yeux lorsque la voiture s’arrêta et que Bones ouvrit la portière côté conducteur.

— Alors Tony, ça va comme tu veux ?

Le vampire ne riait plus.

— Je ne sais pas où est Hennessey ! cria-t-il.

— D’accord, mon pote, je te crois. Chaton, tu veux bien conduire ? Lui et moi, on a des trucs à se dire.

Bones installa Tony sur la banquette arrière. Je me mis au volant et réglai le rétroviseur intérieur de manière à pouvoir les voir.

— On va où ?

— Tourne un peu dans le quartier, le temps que notre ami Tony nous indique la direction à prendre.

Nous laissâmes la voiture accidentée de Bones sur le bas-côté. Elle appartenait à Ted, qui n’en avait pas l’usage. Avoir un propriétaire de casse de voitures parmi ses relations se révélait finalement très pratique.

— Je ne sais rien, répéta Tony. Moi, j’essaie juste de gagner ma vie.

— Menteur, dit Bones d’une voix aimable. Tu fais partie de la bande d’Hennessey, alors n’essaie pas de me faire croire que tu ne sais pas comment le contacter. Tous les vampires savent comment joindre leur maître. Je devrais te tuer rien que pour la vie de cloporte que tu mènes. Faire semblant de vendre de la drogue à des camés, les faire payer et ensuite les hypnotiser pour leur faire croire que tu leur as donné ce qu’ils voulaient... c’est minable.

— Enfoiré, ajoutai-je.

— Il me tuera si je parle !

Sa voix n’était plus qu’un gémissement.

— Pas s’il meurt en premier. De toute façon, t’es fichu, que tu parles ou pas. Que crois-tu qu’Hennessey va faire quand il saura que tu t’es laissé capturer ? Tu penses qu’il sera content d’apprendre que c’est grâce à ton petit trafic que je t’ai déniché ? Tu t’imagines qu’il est assez grand seigneur pour te pardonner, c’est ça ? Allons, voyons ! Il t’arrachera la tête, et tu le sais parfaitement. Je suis ton seul espoir, mon pote.

Tony me regarda, comme pour implorer mon aide. Je lui fis un doigt. Franchement, il s’attendait à quoi ?

Il se tourna de nouveau vers Bones.

— Jure de ne pas me tuer et je te dirai tout.

— Je ne te tuerai que si tu refuses de parler, lui répondit Bones avec rudesse. En revanche, si tu parles mais que tu me mens, je n’irai pas jusqu’à te tuer, mais je te le ferai payer si cher que tu regretteras d’être encore en vie. Fais-moi confiance.

La froideur de sa voix me rappela le jour où je m’étais trouvée à la place de Tony. Bones pouvait vraiment faire peur, aucun doute là-dessus.

Tony entreprit de tout raconter. Son débit était rapide.

— Ces derniers temps, Hennessey n’a dit à personne où il se trouvait, mais si j’ai besoin d’un truc, je suis censé aller voir Lola. J’ai son adresse – elle est à Lansing. Elle est très proche d’Hennessey. Si elle-même ne sait pas où il est, elle connaît au moins quelqu’un qui le sait.

— Donne-moi son adresse.

Tony cracha l’info. Bones ne prit même pas la peine de la noter, mais c’était peut-être parce qu’il maintenait toujours le poignard enfoncé dans la poitrine de Tony.

— Chaton, prends la I-69 et roule vers le nord. On va à Lansing.

 

Il fallait compter trois heures de route. Bones utilisa le GPS de son téléphone portable pour connaître l’itinéraire exact. Il adorait la technologie moderne. Nous fîmes le dernier kilomètre à pied. Nous avions garé la voiture de Tony sur le parking d’un supermarché et nous avions emmené notre prisonnier avec nous. Bones le menaçait à l’aide du poignard, un rictus malveillant sur les lèvres ; au moindre couinement, il l’enverrait ad patres. Alors que nous approchions, je vis que Lola vivait elle aussi dans un immeuble, quoique bien plus huppé que le mien ou celui de Charlie. Il était déjà 5 heures du matin, et qu’est-ce que je faisais ? Je rôdais de nouveau autour d’un immeuble. J’espérais qu’on aurait fini à temps pour que je puisse passer mon examen. J’imaginai la tête du prof quand je lui expliquerais la cause de mon retard : « Vraiment, je vous jure, j’étais en train de chasser un méchant vampire ! » Curieusement, je subodorais que ça ne marcherait pas.

— Sa voiture n’est pas là, murmura Tony.

Il avait pris la menace de Bones au sérieux et continuait à parler à voix basse.

— Et tu es capable de voir ça au premier coup d’oeil ? demanda Bones d’un ton plus que sceptique.

— Quand tu la verras, tu comprendras, répondit Tony.

Lorsque nous arrivâmes à une trentaine de mètres de l’endroit, Bones nous fit signe de rester silencieux et nous indiqua par gestes que Tony et moi devions rester là pendant qu’il fouillerait le bâtiment. Je résistai à l’envie de lui faire un doigt à lui aussi, mais je me consolai en me disant que surveiller le périmètre était aussi une tâche importante. De toute façon, si j’entendais une bagarre, j’étais assez près pour intervenir.

Bones se glissa jusqu’à l’angle opposé de l’immeuble, puis disparut. Les minutes passèrent, puis se transformèrent en heures. Bones ne revenait toujours pas, mais je ne percevais aucun bruit de lutte. J’en conclus qu’il s’était lui aussi posté quelque part. Le jour n’allait pas tarder à se lever, et la position dans laquelle je me trouvais – j’étais accroupie, la pointe de mon poignard appuyée contre Tony – devenait de plus en plus inconfortable. Je commençais à avoir mal au dos et je me rendis compte avec mauvaise humeur que je ne serais jamais rentrée à temps pour mon examen.

Je m’apprêtais à chercher un endroit plus confortable où m’asseoir lorsque je vis une voiture s’arrêter. Tony avait dit vrai. Il était en effet difficile de ne pas remarquer cette voiture, même en ne lui jetant qu’un bref coup d’oeil.

C’était une Ferrari rouge vif, et la femme qui était au volant n’était pas humaine. Je me baissai davantage. Les buissons offraient une cachette efficace et je la voyais parfaitement depuis la petite éminence où nous nous trouvions. Elle avait les cheveux noirs et courts, et ses traits indiquaient quelle était d’origine asiatique. Sa voiture, sa tenue, et même son sac à main devaient coûter une petite fortune. Elle puait le fric à plein nez.

Elle était à quatre ou cinq mètres de l’entrée de l’immeuble lorsque Bones apparut. Visiblement, il s’était caché à l’intérieur pour l’attendre. Elle se mit à courir, mais il bondit pour la rattraper.

La femme se redressa et leva le menton.

— Comment oses-tu me toucher !

— Oser ? (Bones rit, mais pas de son rire charmeur.) Voilà un mot intéressant. Pour oser, il faut du courage. Es-tu courageuse, Lola ? On va vite le savoir.

Il avait sciemment insisté sur la dernière phrase. Elle regarda autour d’elle avant de lui lancer un regard furieux.

— Tu es en train de commettre une énorme erreur.

— Ce ne serait pas la première fois. (Il l’attira à lui.) Allez, ma douce. Tu sais ce que je veux.

— Hennessey et les autres vont te tuer, ce n’est qu’une question de temps, cracha-t-elle.

Bones lui saisit la mâchoire et approcha son visage du sien.

— Je n’aime pas brutaliser les femmes, mais je crois que dans ton cas je vais faire une exception. Ce n’est pas très intime ici, alors je suis un peu obligé d’improviser. Tu vas me dire qui d’autre travaille pour Hennessey, et où je peux les trouver, ou je te jure que je te ferai subir toutes les tortures et toutes les humiliations que d’autres ont subies à cause de toi. Ça te tente ? Au cours de mes pérégrinations, j’ai rencontré deux ou trois types aussi primaires que dépravés qui adoreraient s’en charger à ma place. Tu sais quoi ? Je pourrais même te vendre à eux. Plutôt marrant, non ? Ce serait un juste retour des choses.

Même éloignée comme je l’étais, je vis les yeux de Lola s’écarquiller.

— Je ne sais pas où est Hennessey, il ne me l’a pas dit !

Bones commença à la traîner jusqu’au parking.

— Tu viens de faire le bonheur d’une poignée de pervers, déclara-t-il d’un ton acerbe.

— Attends ! (Son cri était une supplication.) Je sais où est Switch !

Il s’arrêta et la secoua sans ménagement.

— Qui est Switch ?

— Le gros bras d’Hennessey, dit Lola en faisant une moue. Tu sais qu’il déteste se salir les mains. Switch s’occupe de tout le sale boulot, comme faire taire les témoins ou cacher les corps. Il est aussi chargé de chercher de nouvelles recrues, vu qu’on a perdu Stéphanie, Charlie et Dean. Grâce à la nouvelle protection dont bénéficie Hennessey, on n’a même plus à s’inquiéter des conséquences judiciaires.

Du coin de l’oeil, j’aperçus quelque chose sur le toit de l’immeuble au moment même où Bones posait sa question suivante.

— Quel est le vrai nom de Switch, et qui est derrière cette nouvelle protection dont tu parles ?

À ce moment-là, deux formes sautèrent du toit de l’immeuble, haut de dix étages. Bones et Lola étaient juste en dessous. Je bondis de derrière les buissons.

— Attention, au-dessus de toi !

Au même moment, Lola tira un couteau de son sac à main alors que Bones levait la tête, et je lançai immédiatement trois lames en argent.

C’est le moment que choisit Tony pour passer à l’action. Je l’avais lâché pour lancer mes couteaux, et il se jeta sur moi, tous crocs dehors. J’empêchai sa mâchoire de se refermer sur ma gorge et j’empoignai de nouveau le couteau enfoncé dans son thorax pour le tordre. Je lui donnai ensuite un coup de genou dans la poitrine pour le repousser avant de plonger mon autre couteau dans son coeur. Il émit un bruit étrange, une sorte de gloussement de douleur, puis tomba sur le côté.

D’un bond je fus de nouveau sur mes pieds, et je vis Bones agenouillé à côté de Lola. Elle était allongée sur le ciment et trois lames d’argent sortaient de sa poitrine en formant un cercle. Derrière eux, je distinguai deux corps décapités. Les agresseurs tombés du ciel avaient visiblement eu leur compte.

Bones se releva et regarda dans ma direction.

— C’est pas vrai, Chaton, t’as recommencé !

Mince. Je me tortillai sur place en essayant instinctivement de dissimuler le corps de Tony. Comme si ça pouvait le ramener à la vie.

— Elle allait te poignarder, rétorquai-je pour me défendre. Regarde ce qu’elle tient dans la main !

Au lieu de ça, il regarda le corps qui gisait à mes pieds.

— Lui aussi ?

J’acquiesçai, penaude.

— Il m’a sauté dessus.

Bones se contenta de me regarder.

— Tu n’es pas une femme, dit-il finalement. Tu es la Faucheuse en personne affublée d’une perruque rousse !

— Tu es injuste..., protestai-je, mais un cri perçant m’interrompit.

Une femme en tailleur laissa tomber son sac à main et courut se réfugier dans l’immeuble en hurlant. Elle avait dû être effrayée en voyant les cadavres sur le parking. Ce n’est pas le genre de spectacle auquel on s’attend quand on part travailler.

Bones soupira et retira les couteaux du corps de Lola.

— Viens, Chaton. Allons-y avant que tu fasses une nouvelle victime.

— Je ne trouve pas ça drôle...

— J’ai quand même eu le temps de soutirer quelques infos à Lola, continua-t-il sur le ton de la conversation tout en me tirant en direction de la voiture. Le gros bras d’Hennessey, Switch, on va commencer par essayer de savoir qui c’est.

— Je te répète qu’elle allait te tuer...

— Tu n’as jamais pensé à viser autre chose que le coeur ?

Nous marchions d’un pas rapide. D’autres personnes étaient sorties de l’immeuble. Je n’avais pas besoin de me retourner pour le savoir, il me suffisait d’écouter les cris.

Lorsque nous arrivâmes à la voiture, il me donna un baiser fugace mais intense.

— Je suis très touché que tu aies voulu me protéger, mais la prochaine fois, lance seulement pour blesser, d’accord ? En visant la tête, par exemple. Ça les immobilise pendant quelques secondes sans les réduire à l’état de cadavres en décomposition. Penses-y.

Au Bord de la Tombe
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